Le date
Nous sommes dimanche soir, j'ai rendez-vous avec une jeune femme dans une espèce de bar-restaurant bondé. En entrant, je remarque une brune qui se dirige vers la porte des toilettes : c'est elle, mais une espèce de lâcheté m'empêche de la héler pour lui signaler mon arrivée. Je suis debout, ne sachant où m'asseoir, lorsqu'un serveur m'aborde. Il m'indique que la femme en question (comment sait-il que je suis venu pour elle ?) a déjà bu deux verres et qu'elle vient de lui exprimer sa volonté d'en prendre un troisième. Il me met ensuite en garde contre un éventuel abus d'alcool "parce que les femmes, vous savez...". Je vois dans ses yeux qu'il quête un pourboire. Je décide de m'installer à la première table disponible, mais il ne me lâche pas et continue à me parler. La jeune femme revient, nous nous reconnaissons et elle s'asseoit en face de moi. Il y a un léger malaise : je me lève pour lui faire la bise, mais elle bouge à peine. Le serveur est toujours là, je le congédie en commandant une bière quelconque. Petit silence, le malaise se fait de plus en plus épais. Je m'apprête à entamer mon baratinage habituel, lorsque mon directeur de thèse entre dans la salle avec fracas et se dirige droit vers moi à grandes enjambées comiques. Sans prêter attention une seule seconde à la jeune femme, il commence à patrociner confusément, essaye de me convaincre de l'intérêt d'étudier le cycle de la silice à l'Éocène moyen, et de l'ingéniosité de sa nouvelle idée d'article. Coupant son discours, je tente de lui faire comprendre qu'il trouble ma vie privée et que cette conversation peut attendre le lendemain, mais il insiste encore et encore. Ses explications traînent en longueur, il a du mal à trouver ses mots... Je finis par perdre patience et lui hurler que nous sommes dimanche, que je me trouve accompagné et que cette fois il passe les bornes ! Mon haussement de voix le laisse éberlué. Il reste debout, l'œil rond, les lèvres douloureusement contractées, cherchant l'air comme une grosse carpe hors de l'eau. Après un temps qui me semble démesurément long, il finit par s'éloigner de la table à petits pas, en maugréant très bas... Une fois la paix intérieure retrouvée, je me tourne vers mon amie et constate avec stupéfaction que la chaise en face de moi est complètement vide. Rebutée par l'intervention de mon supérieur, elle aura pris congé de moi sans que je ne m'en aperçoive, me laissant seul avec un verre de bière tiède.
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